LARUICCI X NYLON MAGAZINE

UFFIE : LA REINE DE MYSPACE EST DE RETOUR

Signature emblématique d’Ed Banger et des années Myspace, Uffie signe un retour magistral avec Sunshine Factory, son deuxième album attendu depuis douze ans. L’occasion de prendre des nouvelles d’une légende et de réaliser en sa compagnie à quel point le monde, la musique, Internet et elle-même ont bien changé.

 

 

Avant les réseaux sociaux et le streaming musical, il y avait les blogs et le baladeur MP3. Au début des années 2000, les places-to-be du web sont les forums, les blogs et Myspace – première plateforme dédiée aux artistes et à la musique indépendante. À l’époque, on y croise des petits noms tels que Calvin Harris, Lily Allen, Arctic Monkeys ou Orelsan, partageant librement leurs démos et mixtapes en quête d’une gloire imminente. Du jamais-vu. Au même moment à Paris, la scène club est en plein essor. Manager historique des Daft Punk, Pedro Winter vient de fonder le label Ed Banger et compte bien honorer l’héritage des années French Touch. Porté par le développement d’Internet, un nouvel âge d’or musical s’annonce et c’est une jeune femme qui signe le début des festivités… Elle s’appelle Uffie. 

Publié sur Myspace en janvier 2006, son premier single est une révolution. Un sample de batterie emprunté au rap west coast, des basses profondes et des accords de house music : “Pop the Glock” transgresse toutes les règles. À l’époque, on fait du rock ou bien du rap, de la pop ou bien de l’indie… Très peu pour Uffie qui revendique, dès son premier titre, la liberté d’être tout à la fois. Avec insolence, elle débite son ego trip sophistiqué : “Cross the beach onto the street / Gotta work hard, no room to cheat / Crunk n’ grime, that’s my bloodline / Feadz is mixin, Uffie’s shoutin”. Les paroles de “Pop the Glock” résonnent avec cette génération du web et de la nuit dont Uffie devient l’incarnation. 

 

En 2010, elle publie son premier album : Sex Dreams and Denim Jeans. En compagnie de Pharrell Williams, Mr. Oizo, Feadz et SebastiAn, la jeune femme ringardise la scène musicale en réconciliant la pop, la rue et le dancefloor. Pour la première fois, une artiste née sur Internet en dehors du circuit des majors devient la sensation du moment. Douze ans plus tard, le renouveau amorcé par Sex Dreams and Denim Jeans a bien eu lieu : les genres musicaux ne sont plus qu’une relique, la pop n’a jamais été aussi libre et les artistes féminines are all bangin’ à la Uffie. 

 

Quant à elle, la jeune femme s’est autorisé un long break bien mérité. En 2012, au terme d’une longue tournée mondiale, la it-girl de 24 ans abandonne sa carrière et part s’installer dans le désert pour élever ses deux enfants. Il aura fallu attendre dix ans avant de la voir revenir sur le devant de la scène avec Sunshine Factory, son tant attendu second album. Et si Uff a pris son temps, elle a surtout pris soin de revenir avec une proposition solide. Reprenant quelques-uns des thèmes fondateurs de son premier album – l’amour, la fête, l’amitié –, Sunshine Factory semble être une réponse éclairée, nourrie par l’expérience et les années, aux obsessions de la jeune fille qu’elle était. Plus mûre, celle-ci délaisse l’ego trip pour une poésie plus abstraite, entre sagesse et vulnérabilité, et signe un retour triomphal. Dans un monde où l’hyperpop et les bedroom artists squattent le hit-parade, Uffie revient telle la pionnière qu’elle était : celle par qui (presque) tout a commencé. L’occasion pour la génération Myspace d’apprécier une bonne dose de nostalgie et d’embarquer avec elle vers de nouvelles aventures. L’occasion aussi de rappeler, à celles et ceux qui ne le sauraient pas déjà, de quel bois se chauffe Miss Uff’…

 

 

 

 

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Uffie, tu es une icône pour ma génération mais on sait finalement peu de choses sur toi. Quels souvenirs gardes-tu de ton enfance ? 

Je suis née aux Etats-Unis mais j’ai grandi à Hong Kong. On vivait sur un bateau avec ma famille, c’était genre voyages et école à la maison. Puis, à l’âge de 12 ans, je me suis installée à Paris pour étudier. J’y ai passé beaucoup de temps et m’y suis toujours sentie chez moi… Mais la seule vraie constante dans ma vie, ce sont les déménagements. 

C’était comment à Paris au début des années 2000 ?

Tout le monde portait du fluo ! La vie nocturne était omniprésente : il y avait toujours quelque chose à faire et tout le monde faisait la fête tous les jours. Tu passais du blog au club, du studio de musique au défilé de mode… On vivait tous à fond : c’était fou ! Et c’était les débuts d’Internet. À l’époque, on avait Myspace, et voilà. Aujourd’hui, il y a tellement de contenus, de plateformes, de vidéos de 30 secondes… Tout va très vite, j’ai l’impression que quelqu’un a mis Internet sous stéroïdes.

Qu’est-ce qui t’a conduit à produire “Pop the Glock” ? 

C’était un accident, en vrai. J’ai toujours aimé écrire et être entourée par d’autres auteurs mais je n’avais jamais imaginé chanter. À l’époque, je traînais avec les mecs d’Ed Banger et Feadz m’a demandé d’écrire un titre avec lui. C’était censé n’être qu’une expérience mais nous avons composé “Pop the Glock” et il s’avère que le titre a très bien marché sur Myspace. Ensuite, tout est allé vraiment très vite. 

Lorsque je réécoute Sex Dreams and Denim Jeans, j’ai l’impression de lire un vieux journal intime. J’aimerais dire à cette fille que ça va aller, qu’elle devrait juste profiter du voyage. 

Pourquoi as-tu décidé d’arrêter la musique ? 

J’avais envie d’être quelqu’un de normal. J’ai commencé à tourner très jeune et n’ai jamais pu vivre comme une fille de mon âge. Le fait d’avoir un manager m’empêchait aussi de devenir adulte… Lorsque j’ai décidé de fonder ma propre famille, j’avais besoin de grandir et d’arrêter de voyager sans cesse. Je me suis installée en plein désert, à Joshua Tree, où il n’y a absolument rien à faire. Je passais mon temps à cuisiner, peindre, jouer avec mes bébés… J’ai étudié la biologie et j’ai bossé dans une réserve animalière. J’écrivais toujours un peu mais je ne composais plus du tout. D’ailleurs, je n’écoutais même plus de musique. C’était un long moment de calme et de sérénité. 

Qu’est-ce qui t’a remis le pied à l’étrier ? 

J’ai fini par réaliser que la vie normale n’était pas aussi excitante que je l’imaginais, et le fait d’appartenir à cette communauté d’artistes me manquait beaucoup… J’ai commencé à faire quelques tours par Los Angeles où j’avais rencontré des personnes avec qui j’aimais travailler… Et peu à peu, j’ai senti que j’étais de retour. Je voulais trouver un son qui soit fidèle à l’artiste que j’étais, mais qui me permette aussi d’évoluer et de proposer quelque chose de différent. C’est en produisant “Cool” que j’ai senti que nous l’avions trouvé et c’est le morceau qui m’a inspiré l’album.

Sex Dreams and Denim Jeans était très orienté sur le son en lui-même. Sur Sunshine Factory, ce sont ta voix et tes mots qui sont au centre de l’écoute. Comment as-tu travaillé cet album ? 

C’était en pleine pandémie. Avec mon ami [le producteur norvégien] Lokoy, nous sommes partis nous isoler dans un village de pécheurs au Portugal. On s’est enfermés dans une maison au bord de la mer et j’y ai écrit toutes les paroles en dix jours. Ensuite, Toro y Moi nous a rejoints et a coproduit l’ensemble des morceaux. Le fait d’avoir les pistes vocales déjà enregistrées nous a forcés à construire autour, mais j’ai surtout eu la chance de tomber sur des artistes respectueux, qui n’ajoutaient que ce qui devait l’être pour servir l’essence de la musique. Être entourée par les bonnes personnes a vraiment fait la différence.

JE VOULAIS TROUVER UN SON QUI SOIT FIDÈLE À L’ARTISTE QUE J’ÉTAIS, MAIS QUI ME PERMETTE AUSSI D’ÉVOLUER ET DE PROPOSER QUELQUE CHOSE DE DIFFÉRENT. C’EST EN PRODUISANT “COOL” QUE J’AI SENTI QUE NOUS L’AVIONS TROUVÉ ET C’EST LE MORCEAU QUI M’A INSPIRÉ L’ALBUM

 

Tu décris Sunshine Factory comme un espace fictif où les marginaux pouvaient se réunir. Que signifie ce mot pour toi ? Es-tu toi-même une marginale ?

Dès l’enfance, j’étais toujours la nouvelle fille de l’école, celle avec qui l’on ne mange pas à la cantine. Cela m’a un peu suivi toute ma vie. Lorsque tu choisis de vivre à ta façon, tu es toujours un peu à l’écart des autres. Tu peux en faire une force et vivre heureux, mais c’est un chemin difficile et solitaire. Je voulais que cet album puisse réunir toutes celles et ceux qui l’empruntent.

Comment vivre heureux quand on est marginal.e ?

Commence par trouver les bonnes personnes. Il ne s’agit pas d’avoir un tas de potes et de plaire constamment à n’importe qui. Il faut s’accrocher à son instinct pour trouver les personnes qui nous aiment tels que nous sommes. Je crois qu’avoir de bons amis signifie en avoir peu.

Tu décris le morceau “Cool” comme une réflexion sur un “mode de vie excessif” et les environnements “toxiques”. Peux-tu m’en dire plus ?

“Cool” parle de la façon dont nous accordons de la valeur aux choses. Tu sais, on est vite aveuglé par les belles choses. Quand tout est si parfait : les belles tenues, les belles vacances… Toutes ces choses t’empêchent de prendre conscience du vide et du froid qui t’entourent. Tu n’as alors pas d’autre choix que de combler le vide…

 

Selon toi, qu’est-ce qu’il y a de plus beau et de plus triste dans la fête ? 

La fête réunit les gens ; il y a quelque chose d’enfantin dans ce déni total de responsabilité. Partager une danse avec un.e inconnu.e, sentir le monde autour de soi… Cette sensation où tout peut arriver, c’est magique. Mais il faut savoir partir avant que toute la magie ait quitté la pièce. Quand on abuse de la fête, je crois qu’on en perd tous les bénéfices. 

L’industrie musicale a-t-elle beaucoup changé depuis ton départ ? 

Tout a changé ! Le streaming a absolument tout changé. Nous avions plus de temps pour apprécier la musique il y a vingt ans. Aujourd’hui, il n’y a vraiment aucune raison d’enregistrer un album si ce n’est d’offrir une expérience complète à tes fans. Tellement de morceaux sont publiés chaque semaine… C’est très difficile de faire exister un album dans ces conditions. D’un autre côté, j’entends de plus en plus d’artistes produire des choses que l’on n’avait jamais entendues auparavant. Aujourd’hui, les genres musicaux n’ont plus aucun sens, ce qui permet aux artistes de faire ce qui leur plaît. 

En ce moment, tu tournes aux côtés de Sega Bodega. C’est comment de retrouver la scène ? 

Là, tout de suite, je suis tellement fatiguée ! (Elle rit.) En vrai, c’est tellement cool de reprendre les concerts. Le public n’est plus le même, les foules sont inspirantes. Mais j’avais oublié à quel point c’est fatigant : peu importe l’heure à laquelle tu t’es couchée, tu dois tout recommencer le lendemain. Ce que je préfère, c’est partager ces moments avec des personnes que j’aime comme Sega. C’est un peu comme un summer camp, les liens se resserrent vraiment en tournée. 

J’ai entendu que tu travaillais déjà sur de nouveaux titres avec Sega Bodega. Tu es de retour pour de bon alors ? 

Pour de bon : prête à rattraper le temps perdu !

 

 

Source: https://www.nylon.fr/uffie-la-reine-de-myspace-est-de-retour/ 

 

Credits:

Journaliste : Thémis Belkhadra
Photographe : Nicolas Kuttler
Assistante Photographe : Célia Marjolet
Vidéaste : Lola Bertea
Stylistes: Léa Salaün & Enes Rolland
Maquilleuse : Marieke Thibaut
Coiffeuse : Tomoko Ohama
Executive Producer : Anath Socroun
Productrice : Helen Kim Amiri 
Assistante de production : Marine Dubois-Rosuel  
Coordinatrice de production et contenu : Mila Rosaria Requier 

May 26, 2022 — Victoria Velandia

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